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L'incendie de la cathédrale de Nantes par les vikings en 843

22-07-2020

( Temps de lecture : 8 min)

En 843, la ville de Nantes et sa cathédrale subissent l’assaut des hommes du nord, connus aujourd’hui sous le nom de vikings. La cathédrale est mise à sac pendant la fête de la St Jean, et incendiée. Près de 1000 ans plus tard, quelles sont les traces de leur passage, à Nantes et dans la région ?

 

24 juin 843 - Une attaque surprise ?


Le 24 juin 843, jour de la Saint-Jean-Baptiste, la ville subit une attaque surprise de 67 bateaux, dont toutes les annales carolingiennes se font l’écho. Ce choc initial, avec son massacre de fidèles et l’assassinat de l’évêque Gohard sur l’autel de la cathédrale, démontre une remarquable préparation des vikings, surgissant en un moment et un lieu bien choisis.

The life and miracles of St EdmundBD - m736-014v © The Morgan Library
The life and miracles of St EdmundBD - m736-014v © The Morgan Library

 

« La cruelle nation des Normands, saillant [surgissant] subitement des [con]fins de la région de Danemark et menant vie piratique, après ce qu'ils eurent détruits les lieux contigus et proches de la mer de Bretagne (...), entrèrent au fleuve de Loire, et, soufflant zéphyr, vinrent aborder leur navire jouxte [contre] les murs de la cité de Nantes, laquelle ils avironnèrent  [accostèrent] d'un côté et d'autre.
Après ce qu'ils furent issus de leur dit navire : et, les uns rampant contre les murs par échelles, les autres défroissant et pénétrant les clôtures, nul ne leur déniant l'entrée, entrèrent au dépourvu en la dite cité le solennel jour de la Nativité saint Jean-Baptiste [24 juin 843]
. De celle cité de Nantes était alors évêque Gohard, homme simple, débonnaire (…)
Tous regardant leurs ennemis entre les murailles, coururent ensemble hâtivement au temple de Saint-Pierre et Saint-Paul, lequel était en la cité très bel et très noble, et les huys [
ouvertures] et les portes d'icelui barrèrent contre l'impétuosité des persécutants, demandant le divin aide de leur délivrance. (…)
Mais, comme les péans [vikings] furent arrivés jusques devant celui temple, ils en froissèrent les huys et arrachèrent les fenêtres en les brisant cruellement, tant que à force, entrèrent dedans, et celle multitude de peuple qu'ils y trouvèrent férirent [
moururent] de leurs glaives sans épargner ni âge, ni sexe ; par si grande cruauté, que le dit Gohard, prêtre et évêque, célébrant la solennité de la messe, l'occirent [le tuèrent] cruellement. »

Chroniques de Nantes, (av. 1049) orthographe modernisée
 

Tapisserie de Bayeux © Ville de Bayeux
Tapisserie de Bayeux © Ville de Bayeux


Gohard était évêque de Nantes en 843, au moment de la première incursion viking dans la ville. Quelques temps après la destruction de la cathédrale de Nantes et la mort de Gohard, les reliques de celui-ci furent transportées par bateau vers Angers, auprès du chapitre de la cathédrale de Nantes, réfugié à Angers.

« Tout ce récit fabuleux, à le bien apprécier ne signifie autre chose sinon que le Chapitre de saint Pierre envoya demander le corps de saint Gohard. Se l'ayant obtenu le fit enterrer honorablement dans son église. Il fut enveloppé dans un drap de soie & mis dans une chasse de bois avec deux plaques de plomb sur l'une desquelles était écrit « In hec sepultura quiescit humilis Cohardus Nanetensium ». Sur l'autre « pater & martyr » ce qui marquait qu'en ce lieu reposait Gohard Evêque de Nantes & martyr. La chasse fut mise en terre et Dieu manifesta par plusieurs miracles la gloire de celui dont le corps y avait été mis. »

Vie des saints de Bretagne et des personnes d'une éminente piété, 1725

Le culte de saint Gohard, évêque martyr


Dès le Moyen Âge, le souvenir de la violence des hommes du Nord acquiert un statut symbolique, parfois érigé en fléau divin. Dans les siècles qui ont suivi, l'Église catholique crée un culte autour de l’évêque Gohard et de son martyre en 843 sur l’autel de la messe. L’Église renforce et instrumentalise cette image violente des Scandinaves, et associe peu à peu Gohard à un récit miraculeux, construisant la légende de Gohard, qui sortit de la cathédrale, portant sa tête coupée entre les mains, et marchant jusqu'à la Loire :

« Les barbares normands, ayant massacré saint Gohard, laissèrent son corps séparé de sa tête parmi les autres morts , pour les faire brûler en l'incendie de son église,
(...)les normands, étant près à de donner le feu à la pile de fagots & meubles qu'ils avaient dressés au milieu de l’Église, le corps du saint pontife Gohard se leva sur pieds & tenant sa tête dans ses mains, sortit de l’Église, au grand étonnement des infidèles, et alla directement au faubourg nommé de Richebourg, situé sur le bord de Loire, suivi de grand nombre de normands, curieux de voir quelle issue aurait cette merveille.
Étant arrivé au bord de l'eau, il entra dans un bateau qui s'y trouva miraculeusement disposé, lequel remonta la Loire sans aide de voiles, ni de rames, et se vint arrêter au port d'Angers. »

Vie des saints de Bretagne Armorique, 1637

Gohard est progressivement considéré comme un martyr et est ainsi canonisé dès 1096. La vénération du saint se met en place à la cathédrale, grâce à l’obtention de reliques qui génèrent pèlerinage et dévotion. À une époque où l’Église en Europe se refonde et se réorganise autour de valeurs morales plus strictes, St Gohard est canonisé par le pape Urbain II en 1096 à Clermont sur demande du châpitre d'Angers, et devient « martyr » de l’Église :

« On prétend que pendant que le Pape Urbain II tenait un Concile à Clermont en Auvergne l'an 1095, le chapitre de st Pierre d'Angers y envoya des députés avec des enquêtes et des informations, pour supplier le pape de canoniser saint Gohard, et que le pape, après avoir fait examiner les enquêtes et les informations, canonisa le saint de l'avis des cardinaux inséra so nom au catalogue des martyrs, et ordonna que sa fête serait célébrée le 25 de juin, quoiqu'il eut été martyrisé le 24, à cause que le 24 était occupé par la fête de Saint Jean Baptiste. »

Vie des saints de Bretagne et des personnes d'une éminente piété, 1725

Transport de reliques, Tapisserie de Bayeux © Ville de Bayeux
Transport de reliques, Tapisserie de Bayeux © Ville de Bayeux


Cette canonisation permet au clergé de la région de s'appuyer sur le culte de St Gohard, devenu officiellement saint et martyr : elle exhume ses reliques un an plus tard pour instituer un culte autour de St Gohard :

« L'année d'après, la chasse de Saint Gohard fut levée de terre et exposée à la vénération du public »

Vie des saints de Bretagne et des personnes d'une éminente piété,1725

Le retour des reliques dans la cathédrale St Pierre


Le retour des reliques de St Gohard à Nantes, près de 400 ans après les événements, marque la place qu'il commence à prendre au sein de la nouvelle église St Pierre de Nantes, inaugurée en 1211 : l'os d'un bras reste à Angers, tandis que le reste des reliques est enfermé dans un coffre sur le grand autel de l'église St Pierre :

« L'an 1211, l'église saint Pierre fut dédiée par Guillaume de Beaumont, évêque d'Angers, au mois de septembre. Le jour qui précéda cette dédicace, le doyen du chapitre et les autres chanoines, fit la revue des reliques, dont celle de St Gohard, dont ayant retenu l'os d'un bras, mit le reste dans un petit coffre de bois, qui fut enfermé dans un plus grand coffre élevé sur le Grand Autel. »

Vie des saints de Bretagne et des personnes d'une éminente piété, 1725

En 1524, les reliques déménagent encore dans l'église St Pierre où la tête est sortie pour être enchassée en argent, et le reste des reliques rejoint une nouvelle chasse de bois, présentée au peuple avant de rejoindre un petit autel dédié à St Gohard derrière le grand autel.

Plan des fouilles de la cathédrale de Nantes en 1884, Archives départementales de Loire-Atlantique, 47_FI_31__0001
Plan des fouilles de 1884, Archives départementales de Loire-Atlantique, 47_FI_31__0001

 

De la statue au tableau, une icône renforcée

 

Statue de saint Gohard © C. Hémon / Musée Dobrée – Grand Patrimoine de Loire-Atlantique
Premier quart du 14e siècle - Pierre calcaire polychromée - Musée Dobrée - Inv. 884.7.2 © C. Hémon / Musée Dobrée – Grand Patrimoine de Loire-Atlantique


Le culte de St Gohard est vivace tout au long du Moyen Âge, et sa statue, réalisée au 14e siècle, montre la persistance de son culte dans la cathédrale, le lieu même de son supplice. La statue est aujourd'hui conservée au Musée Dobrée, après sa découverte en 1884 lors des fouilles de la crypte romane de la cathédrale. Cette crypte est aujourd’hui conservée et ouverte à la visite, sous le chœur de l’actuelle cathédrale.

Crypte mise au jour lors des fouilles de la cathédrale de Nantes en 1884 © Archives de Nantes
Crypte mise au jour lors des fouilles de la cathédrale de Nantes en 1884 © Archives de Nantes


La crypte de la cathédrale, rebâtie par l’évêque Benoît à la fin du 11e siècle, est constituée d’un martyrium. Cet espace, entouré d’un déambulatoire, permet la circulation des fidèles autour des restes des saints. Cette statue faisait probablement partie d’un groupe sculpté plus large, aujourd’hui perdu. Une large fente est visible dans sa mitre et sa tête, accentuée par de la peinture rouge, pour souligner le coup fatal porté à l’évêque.

Le culte de St Gohard prend une place encore plus importante dans l'église St Pierre lorsqu'une chapelle lui est dédiée et un tableau réalisé par Edouard Jolin en 1852. Le statut de martyr est particulièrement souligné dans la composition où la piété de Gohard est rappelée par l'autel, les symboles du culte (encensoir, croix) et ceux de l'évêque (crosse, aube, évangile) ; face à la figure du barbare chevelu qui viole, tue et vole.

Le Martyre de St Gohard, tableau d'Edouard Jolin © La Goëlette
Le Martyre de St Gohard, tableau d'Edouard Jolin © La Goëlette

 

Un dispositif multimédia proposé dans l'exposition "Namsborg, des vikings à Nantes", exposition présentée du samedi 30 juin 2018 au dimanche 6 janvier 2019, au Chronographe, à Rezé; en collaboration avec le Musée Dobrée et en écho à l’exposition du Château des ducs de Bretagne (officiel) "Nous les appelons Vikings"
• Commissariat général : Cécile de Collasson, assistée de Solveig Lecouturier.
• Commissariat scientifique : Virginie Dupuy, conservateur responsable des collections archéologiques du musée Dobrée et Mathieu Laurens-Berge, archéologue au service recherche archéologique de Nantes Métropole.
• Scénographie et conception graphique : Les Scénographistes (Ariane Costes et Lucile Fond).
• Production audiovisiuelle : Raphaël Lerays et Alain Lefoll.
© Le Chronographe, Nantes Métropole, 2019

 

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